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jeudi 21 juillet 2016

Mozart est-il un novateur?

Selon certains mozartophiles éminents, Wolfgang Mozart ne
 serait pas un novateur pour reprendre les termes
 utilisés par Nikolaus Harnoncourt, ni un inventeur mais aurait 
fait la même chose que ses contemporains en mieux (1,2). De façon assez courante, on oppose Mozart à Jean-Philippe Rameau, Luigi Boccherini, Joseph Haydn, Ludwig van Beethoven, considérés eux comme novateurs sinon inventeurs.

Portrait de Mozart par Doris Stock

Certes Mozart n'a inventé ni la
 symphonie, ni le quatuor à cordes, ni le concerto pour
 pianoforte ou clavecin...., en somme aucun des principaux 
genres classiques, mais quand on cherche les 
inventeurs de ces genres, il n'est pas toujours facile
 de se mettre d'accord, les nationalismes s'en mélant,
 sur un nom. L'exemple suivant montre la difficulté d'atrribuer à un compositeur la paternité d'un genre musical.
Joseph Haydn a été longtemps considéré presqu'unanimement comme l'inventeur du quatuor à cordes avec ses divertimenti a quattro HobIII.1-10, en cinq mouvements, que l'on date à partir de 1757 (3,4). On a objecté toutefois que ces divertimenti, bien qu'écrits pour deux violons, alto, violoncelle, sont encore éloignés de l'esprit du quatuor à cordes classique. D'autre part les six quatuors opus 5 de Franz Xaver Richter qui auraient été composés aussi vers 1757, seraient, selon certains, plus proches de l'idée que nous nous faisons du quatuor classique. En fait, on trouve des œuvres pour la même formation de compositeurs antérieurs à Haydn ou Richter. La sonata da camera opus 3 n° 1 de Gottfried Johann Janitsch qui date de 1747 est un cas intéressant. Les trois voix supérieures sont celles du quatuor à cordes classiques mais la basse ne s'est pas encore totalement affranchie de son rôle ancestral de basse continue. Quelques années avant (1743), Louis Gabriel Guillemain publie ses six Conversations Galantes et Amusantes pour flûte, violon, viole de gambe et basse. Dans ces œuvres remarquables, l'ambitus de la partie de viole de gambe est celle quasiment d'un alto. La partie de basse est chiffrée mais peut facilement être jouée par un violoncelle. En fait ce n'est qu'à partir de l'opus 9 de Haydn, datant de 1769, et dont les six quatuors (HobIII.19-24) possèdent quatre mouvements, que le style du quatuor à cordes moderne est fixé (bien que ces œuvres continuent à s'inituler divertimenti) et on constate que ces quatuors de Haydn sont antérieurs de peu aux quatuors concertants de François-Joseph Gossec, du Chevalier de Saint-George (5), de Pierre Vachon, tous nés en 1772 ainsi qu'aux quatuors Milanais de Mozart de 1772-3.
En conclusion, on voit bien que le quatuor à cordes n'est pas né brusquement telle Athéna jaillissant toute armée de la tête de Zeus mais au terme d'un processus lent et progressif dans le temps et l'espace. En outre, les compositeurs étant tributaires de leurs précécesseurs, le terme d'inventeur n'est de toutes façons pas adapté.

Mozart n'est pas non
 plus un créateur de formes musicales: ni la structure sonate, ni la 
variation, ni le rondo ne furent inventés par lui, bien qu'il ait contribué à porter ces formes à des niveaux de
 perfection remarquables. On peut dire la même chose de Haydn qui n'a pas crée de formes nouvelles mais a contribué à élever la structure sonate à un degré de perfectionnement inconnu jusque là, ou encore de Beethoven qui, dans ses dernières sonates ou ses derniers quatuors à cordes, a fait de la grande variation un champs d'expérimentation extraordinaire.



Mais ne joue-t-on pas sur les mots? Le contenant est-il si important? N'est-ce pas le contenu qui importe? Alors pour ce qui est du fond, Mozart est-il un novateur?

Muzio  Clementi par Aleksander Orlovsky

Dans l'art de Joseph Haydn, on trouve une capacité innée au développement thématique et cela dès ses premières œuvres comme par exemple les étonnants 21 trios pour deux violons et violoncelle HobV datant au plus tard de 1765 (3). En fait Haydn utilise les différentes cellules de la phrase musicale principale d'une forme binaire récurrente dans le début de la seconde partie (qui deviendra progressivement la partie centrale de la structure sonate et prendra plus tard le nom de développement) pour les mettre en jeu dans des jeux contrapuntiques, canons, imitations, fugatos ou encore pour les combiner entre eux. Ce type d'écriture se perfectionne au fil des ans pour atteindre un degré de complexité et de raffinement inoui dans les œuvres de la grande maturité comme par exemple, l'emblématique quatuor en fa mineur opus 55 n°2 Le Rasoir ou l'immense symphonie n° 88 en sol majeur. Cette technique compositionnelle, par la répétition de motifs, par l'unité qui en résulte, par un processus combinatoire qui les exalte, procure à l'oreille et l'esprit une satisfaction intense. Comme le dit Marc Vignal, l'oeuvre de Haydn est un livre ouvert dans lequel Beethoven n'aura qu'à puiser (3). 

Rien de tel chez Mozart, qui, tant qu'il demeura à Salzbourg, pratiqua un style différent, inspiré de modèles comme Johann Schobert,  Johann Christian Bach ou Michael Haydn et qu'on peut qualifier de galant, sans aucune nuance péjorative. Le style galant, centré sur la mélodie accompagnée et fortement influencé par l'opéra, n'accorde qu'une place limitée à l'élaboration thématique ou au développement. Ce dernier, placé au début de la seconde partie d'une structure sonate par exemple, ne consiste chez le jeune Mozart qu'en une simple transition destinée à préparer la rentrée ou réexposition. Ce style qui triomphe chez Mozart au cours des années 1774 et 1775 (6), flatte l'oreille mais ne semble pas totalement satisfaisant pour l'esprit. Mozart ne va pas tarder à s'en rendre compte et à réagir sous l'influence de Joseph Haydn, de Muzio Clementi (1752-1832) ainsi que des maîtres d'Allemagne du nord qu'il découvre à partir de 1781. Il introduit le développement thématique, ses thèmes deviennent moins nombreux, évolution déjà sensible dans la série des six quatuors à cordes dédiés à Haydn (1782-1785) qui aboutit au monothématisme à partir de 1786.. Dans son quatuor à cordes en ré majeur K 499 de 1786, le premier mouvement est bâti sur un thème unique. Dans ce mouvement, un des plus ingénieux du compositeur, la division ternaire de la structure sonate s'estompe au profit d'un développement continu de l'idée initiale. A partir de cette date, de nombreux mouvements de trios pour pianoforte, violon, violoncelle (premier mouvement des trios en mi bémol K 498, en si bémol K 502, andante du trio en sol majeur K 496), quatuors et quintettes à cordes, symphonies, sont basés sur ces principes. Le finale de sa symphonie n° 39 en mi bémol majeur, rigoureusement monothématique, est une réussite totale aux plans harmoniques et contrapuntiques. L'ouverture de la Flûte Enchantée, bâtie également sur un seul thème (emprunté probablement à Muzio Clementi) représente un tour de force et le parangon de cette tendance. Mais le morceau le plus génial est à mon avis, le finale du quatuor à cordes en fa majeur K 590 (1790), un mouvement d'une complexité exceptionnelle, encore plus élaboré que le quatuor K 499.

En résumé, à partir d'Idomeneo, le style de Mozart évolue profondément et sa musique acquiert des caractéristiques voisines de celle de Haydn tout en affirmant évidemment sa personnalité unique. Pour moi, une œuvre telle que la sonate pour pianoforte à quatre mains en fa majeur K 497 conduit à Beethoven aussi sûrement que le quatuor à cordes en fa mineur opus 55 n° 2 (HobIII.57) de Haydn, pour ne citer ici que deux œuvres emblématiques et contemporaines des deux amis. Seule la mort a empêché Mozart d'aller plus loin dans ses recherches. Toutefois, Mozart me semble plus avoir joué un rôle de suiveur que de meneur, dans l'acquisition de sa personnalité et de son style. Ce n'est pas lui non plus l'inventeur du style classique dans lequel certains voient une fusion des styles galants et savants.


Ni sur la forme, ni sur le fond, Mozart ne serait donc un novateur

Dans une deuxième partie nous allons modifier notre angle d'approche en examinant quelques œuvres majeures de Mozart appartenant à des genres musicaux différents.


  1. Nikolaus Harnoncourt, Le Dialogue Musical,
Monteverdi, Bach et Mozart, Arcades, Gallimard 1985
  2. Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988, pp. 1119-1126.
  3. Michelle Garnier-Panafieu, Un contemporain atypique de Mozart, Le Chevalier de Saint-George, YP Editions, 2011, pp. 64-75.
  4. T. de Wizewa, G. de Saint Foix, Mozart, tome II, Le jeune Maître, Desclée de Brouwer, 1937. Dans ce magistral ouvrage le chapitre concernant l'année 1775 s'intitule le Triomphe de la Galanterie. Il faut remarquer que dans cette période de la vie de Mozart, le jeune Maître doit satisfaire les goûts de sa clientèle salzbourgeoise qui ne veut plus de symphonies ou de quatuors à cordes, genres jugés trop sérieux, mais qui réclame des divertissements, des sérénades et aime entendre de brillants solistes instrumentaux d'où une profusion de concertos, notamment les cinq concertos pour violon, composés par Wolfgang Mozart en 1775.

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