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dimanche 25 octobre 2015

Le Trame Deluse, l'art vocal selon Cimarosa

Le Trame Deluse (Les complots déjoués) de Domenico
 Cimarosa est un des plus importants ouvrages lyriques du dix huitième siècle finissant. 
De ce dramma giocoso composé en 1786, Gioachino Rossini disait le plus grand bien et 
trouva dans le quintette du premier acte des sources
 d'inspiration pour ses propres oeuvres (1). L'opéra, représenté en décembre 1786 au Teatro Nuovo de Naples, est le dernier d'un groupe de trois composés la même année: Le Trame Deluse, L'Impresario in Angustie (L'impresario dans les ennuis) et Il Credulo, tous trois à partir de livrets de Giuseppe Maria Diodati. Les deux derniers furent montés et dirigés par Joseph Haydn à Eszterhàza mais pas Le Trame Deluse qui pourtant est le meilleur des trois. Ce texte me donne l'occasion d'insister sur la contribution exceptionnelle de Joseph Haydn à la diffusion de l'oeuvre de Cimarosa avec plus d'une douzaine d'opéras révisés et montés au théâtre d'Eszterhàza.
Le Trame Deluse obtint un succès durable et fut représenté au Burgtheater de Vienne en 1787 ainsi que dans de nombreuses capitales européennes (2). Il est probable que Wolfgang Mozart assista à une des représentations donnée à Dresde en juin 1789 en langue allemande, exécution que Mozart qualifia de misérable dans une lettre à Constance (3).




Domenico Cimarosa (1749-1801) 

Le livret est bâti sur une intrigue classique: Don 
Artabano, un notable napolitain d'âge mûr attend une 
jeune romaine qu'il doit épouser. Un couple d'escrocs 
Don Nardo et Ortensia profitent de la situation pour 
échafauder un complot: Ortensia doit se substituer à 
la fiancée pendant que Don Nardo subtilise les 
économies de Don Artabano. La machination est déjouée
 par Dorinda, la jardinière du domaine et par Glicerio
 et Olimpia, un couple d'amoureux qui dans le passé 
eurent des déboires avec les deux aventuriers. Après 
diverses péripéties et quiproquos, l'arrivée de la 
vraie fiancée apporte la lumière et permet 
l'arrestation du couple infernal.

Le livret très 
conventionnel est moins subtil que celui du Matrimonio Segreto (Mariage Secret), de Giovanni Bertati. La plupart des personnages me semblent sans grande épaisseur: Don Artabano est le barbon crédule et ridicule de l'opéra bouffe, Olimpia et Glicerio, le couple d'amoureux traditionnels, par contre les escrocs Don Nardo et Ortensia sont bien plus intéressants et complexes. 

L'absence d'un héros ou héroïne occupant le devant de la scène, a sans doute nui au succès durable de l'oeuvre. A noter que Don Nardo s'exprime en dialecte napolitain tandis que les autres personnages conversent en toscan. Dans Le trame deluse, Cimarosa revient à une formule
 archaïque en 3 actes alors que la division en deux 
actes s'était imposée dans l'opera buffa au cours des 
années 1780. Toutefois l'opéra fut remanié et condensé par la suite en deux actes comme on peut le voir dans l'édition de 1818 du livret.

Cet opéra présente une caractéristique 
unique: il contient peu d'arias et un nombre  inhabituel de morceaux d'ensembles (duos, trios,
quatuors etc...). Les airs sont le plus souvent dépourvus de
 virtuosité vocale. Chaque acte se termine par des
 ensembles à la chaine d'une longueur inusitée ce qui 
donne à l'action une vie extraordinaire. En dehors de
 ces considérations formelles, l'auditeur est comblé 
par la richesse de l'inspiration musicale. Le langage 
musical est ici plus hardi que dans les operas précédents, le génie mélodique de Cimarosa est à son 
zénith, un chant sublime parcourt l'oeuvre du début à
 la fin.

Voici quelques temps forts de la version en trois actes: (4)
Les airs et duos:
-le duo du premier acte en sol majeur entre Ortensia et Don Nardo, Nel mirar quel caro caro occhietto...une barcarolle exquise qui nous plonge dans l'opéra 
italien romantique du temps de Vincenzo Bellini! Un admirable motif du hautbois sert de transition entre les couplets. La suite plus conventionnelle nous replonge dans l'opéra bouffe.
-l'air plein de verve
 en mi bémol majeur de Don Nardo au deuxième acte, A mme 'sto vico in faccia...chanté en dialecte 
napolitain. Don Nardo s'exprime dans un air qui se veut comique mais qui révèle de la frustration et de la rancoeur comme le montrent une rudesse inattendue de la ligne mélodique et les harmonies acerbes de la deuxième partie de l'air.
-l'air d'Olimpia en la majeur Andante grazioso du troisième acte, Le donzellette che sono amanti … est une mélodie
 envoûtante sur un rythme ternaire.

Les ensembles:
Les ensembles qui parcourent les trois actes sont des polyphonies vastes et 
complexes.
-L'ensemble situé à la fin du premier acte acte, Che tremore ho nelle vene! 
en mi bémol majeur, est le plus remarquable de tous au plan musical avec des tournures mélodiques et des harmonies que l'on ne retrouvera que dans le Cosi fan Tutte de Wolfgang Mozart, composé trois ans après. Cet ensemble se termine dans un tourbillon de mots et de musique. Ce quintette suscita l'admiration de Gioachino Rossini.
-L'énorme finale du deuxième acte, est le plus remarquable au plan dramatique. 
Il est constitué de plusieurs numéros enchainés. Il débute en ré majeur par un allegro giusto, Esci fuori bifolchetta..
 mais module ensuite en mi bémol majeur dans un Larghetto con moto, Zitto, zitto, piano, piano.., remarquable par la beauté du chant et un accompagnement admirable de l'orchestre avec sourdines tout à fait indépendant des chanteurs. Dans cette section l'orchestre devient un “personnage” à part entière de l'action. Ensuite le mouvement va s'accélerer avec un allegro en do majeur puis un presto où tous les protagonistes se déchainent. A la fin la confusion est à son comble et tous les personnages unissent leurs voix dans une conclusion endiablée. Si le finale du premier acte évoque Cosi fan tutte, par contre celui du deuxième acte annonce clairement ceux du Matrimonio segreto composé cinq ans plus tard.
-les ensembles dominent dans le troisième acte, notamment un vaste terzetto Larghetto con moto en fa majeur Scendi, o cara, adagio, adagio...qui ne le cède en rien aux précédents question splendeur vocale. 

A la fin de l'opéra, chacun retrouve sa chacune, les méchants Ortensia et Nardo en prison, les bons Artabano, Olimpia et Glicerio devant l'autel, mais une agitation identique les anime, les fait ressembler à des pantins désarticulés et nous questionne. Tout cela a-t-il un sens? Une chose est certaine, la musique de Cimarosa donne miraculeusement unité, signification et harmonie à un texte qui semble en être dépourvu.

Il Castello Nuovo di Napoli

La Molinara de Giovanni Paisiello qui date de 1788, a fait l'ojet d'un article dans ce Blog (5).
 La comparaison entre Cimarosa et Paisiello, deux 
musiciens napolitains est inévitable à travers ces
 oeuvres contemporaines. Paisiello est plus varié, plus
 contrasté, son tempérament dramatique me semble plus 
intense, son orchestre est plus coloré
 avec une participation plus active des vents. Ces qualités sont particulièrement évidentes dans Il Re Teodoro in Venezia. A son 
passif, Paisiello n'évite pas toujours la facilité voire une certaine vulgarité.
 Chez Cimarosa on observe au fil de ses 70 oeuvres dramatiques une lente évolution vers un art toujours 
plus expressif, raffiné et élégant. Son orchestre, d'abord assez rudimentaire à la manière d'une grande
 guitare comme le dit si bien Emile Vuillermoz à propos des accompagnements orchestraux de Vincenzo Bellini, gagne en épaisseur et en subtilité pour
 empiéter même sur le chant dans Il Fanatico Burlato (1787) et Il matrimonio segreto (1792). Stendhal regrettait cette évolution car il appréciait par dessus tout que les chanteurs soient placés au devant de la scène et que l'orchestre se montre discret. Grétry lui, s'amusant à comparer Cimarosa et Mozart, déclarait que Cimarosa met toujours sa statue sur la scène et le piédestal dans l’orchestre, alors que Mozart place la statue dans l’orchestre et le piédestal sur la scène (1).

Compte tenu de la splendeur de cette musique, il est
 scandaleux que Le Trame Deluse ne soit jamais joué et
 enregistré. D'autre part étant donné les analogies entre les ensembles du Cosi fan Tutte de Mozart datant de 1789-90 et ceux de cet opéra composé, rappelons-le en 1786, il me semble que tout exposé sur Cosi fan Tutte devrait désigner Le Trame Deluse comme source d'inspiration pour le Salzbourgeois.


La seule version existante est 
référencée ci-dessous (6), il s'agit d'un enregistrement microsillon datant de 1969 avec les qualités et les défauts de l'époque. Le premier et le deuxième actes de cette version peuvent être intégralement écoutés sur You tube. La barre a été placée très haut par les chanteurs, en particulier Sesto Bruscantini incarne un Don Nardo exceptionnel et il sera difficile de réunir aujourd'hui une palette comparable. Par contre, on fera beaucoup mieux pour le style en faisant appel aux instruments anciens et une perspective historiquement informée comme savent si bien le faire les Christophe Rousset, René Jacobs ou Antonio Florio.

  1. Nick Rossi and Talmage Fauntleroy, Domenico Cimarosa, His life and his operas, Greenwood Press, Westport Connecticut, London, 1999.
  2. Daniel Heartz, Mozart, Haydn and Early Beethoven: 1781-1802: 1781–1802, W.W. Norton and Company, New York, 2009, pp. 220
  3. http://javanese.imslp.info/files/imglnks/usimg/0/0b/IMSLP272054-PMLP441307-AA_Cimarosa_Le_trame_deluse.pdf
  4. Vittorio Gui; Coro e Orchestra Sinfonica della
RAI. Adriana Martino/Alberta Valentini/Giuseppe
Baratti/Sesto Bruscantini/ Carlo Badioli/Luisella
Ciaffi Ricagno Voce 79 (2 LP) (live) (1969).
Les propos ci-dessus sont issus
 de l'écoute attentive de cet opéra et d'une réflexion personnelle. Les informations provenant de la littérature sont citées comme il se doit, en particulier dans la référence (2).
 Ce texte a été publié sous une forme très abrégée dans le forum ron3 consacré à Mozart: http://www.ron3.fr/phpBB3/viewtopic.php?f=16&t=408&start=15 post du 10 juin 2007.






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